Interview de Ali Bekhti, doctorant à l’université Paris VIII.

Ali Bekhti doctorant à Paris 8
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nterview de Ali Bekhti, doctorant à l’université de Paris VIII, ancien enseignant au département de langue et culture amazighes de l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou et enseignant/inspecteur de langue amazighe dans l’éducation nationale en Algérie. 

Qui est Ali Bekhti?

Je suis Ali BEKHTI, j'ai 58 ans. Je suis né à Cheurfa, aux Ouadhias, en Kabylie.                

Ton cœur a commencé à battre pour Tamazight, depuis quand “si melmi i yebda iḥebbek wul-ik ɣef Tmazight”? Quand en avez-vous pris conscience?

Ce terme "aḥbak" donne bien le sens. J'ai commencé à prendre conscience quand j'étais au lycée Ali Mellah à Draa El Mizan lors du soulèvement d'avril 1980. J'étais en 1AS. Notre Lycée faisait partie de la coordination des lycées et nous recevions toutes les informations concernant le mouvement. Nous avons organisé plusieurs manifestations et plusieurs marches. L'action qui m'a le plus marqué est la marche de Draa El Mizan à Boghni (14 Km). L'étincelle du printemps 80 a allumé la flamme de ma conscientisation à l'égard de la question berbère. Mes premiers enseignants de langue berbère étaient Mr Idir Ahmed Zaid et Mme Malika Ahmed Zaid à l'université M.Mammeri où j'étais étudiant en 1983. ils dispensaient des cours du soir, c'était des cours informels.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours de militant pour l'identité et la langue amazighes.

Mon travail sur l'identité est un travail d'un militant comme tous les autres militants chacun dans son domaine. Concernant mon travail sur la langue berbère, j'étais parmi les premiers enseignants faisant partie du groupe qui travaillait sur les programmes scolaires en 1998, même si ce n'était pas des programmes officiels. Il y avait entre autres Ali Lounis, Ramdane Achour, Yahia Bellil, Ousalem Md Ouamar, Nadia Berdous ... en 2001, j'étais promu inspecteur de la langue berbère dans la wilaya de Tizi-Ouzou. J'ai travaillé sur les nouvelles méthodes pédagogiques et j'accompagnais les enseignants pour qu'ils puissent s'approprier ses nouvelles méthodes notamment la pédagogie de projet.

Après l'introduction de la langue amazighe dans le système scolaire, vous avez participé comme enseignant puis inspecteur dans l’éducation nationale. Parlez-nous un peu de chacune de ces deux expériences.

Quand j'étais enseignant, il n y avait ni programme ni manuel scolaire. on travaillait avec ce que nous avions entre les mains et on se faisait passer les textes et autres documents entre nous. Ce n'est qu'après quelques années de long labeur que les choses commençaient à devenir plus claires en dotant tamazight avec des programmes officiels et des manuels.

Qu'en avez-vous gardé en mémoire comme souvenirs, notamment des enseignants?

Là, tu me fais rappeler les très bons moments que j'ai passés avec les enseignants de tamazight en étant inspecteur. Tous ces moments sont ancrés dans ma mémoire que ni le temps ni l'âge ne pourraient effacer. On était une famille, on apprenait ensemble. J'ai appris avec eux et ils ont appris avec moi. Je les salue au passage. Mon souhait est d'organiser une rencontre qui regroupe tous les enseignants avec lesquels j'ai travaillé.

Vous avez aussi enseigné au département de langue et culture amazighes à l'université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou. Qu'avez-vous gardé de ce passage?

Oui, j'ai travaillé au département de langue et culture amazighes. C'était une autre expérience pour moi parce que le travail n'est pas le même. A l'université, j'assurais le module de didactique et j'ai encadré plusieurs mémoires de master.

Beaucoup de vos anciens étudiants sont aujourd'hui enseignants, écrivains ou en poursuite d'études. Qu'en pensez-vous? Peut-être voulez-vous leur transmettre un message!

Oui, j'ai rencontré plusieurs de mes ex étudiants. Pour certains, ils sont devenus auteurs et je les félicite, je citerais Lyes Belaidi, Chabha Bengana, Zohra Aoudia, Zohra Lagha. ils étaient tous mes étudiants. Il y a aussi ceux qui sont en doctorat et je leur souhaite beaucoup de réussite, je leur dirais qu'il faut persévérer car le travail de recherche nécessite beaucoup de temps et de patience. J'ai rencontré aussi certains de mes ex étudiants en France qui continuent leurs études.

Le nombre de nouveaux diplômés de l'université diplômés en langue amazighe ne cesse d'augmenter d'année en année. Malheureusement, ils viennent s'ajouter à ceux déjà sans travail. Quelle solution préconisez-vous pour le règlement de cette malheureuse situation? 

La solution est que tamazight doit être enseignée dès la première année primaire et son volume horaire doit augmenter.

Comment prédisez-vous l'avenir de la langue amazighe en Algérie en particulier et en “Amazighie” d'une façon générale?

Comparativement aux années qui ont suivies l'introduction de tamazight dans le système éducatif algérien, on peut dire que l'enseignement de tamazight a beaucoup progressé. Cependant, un grand travail reste à faire, notamment sur le plan pédagogique. On ne doit pas continuer à enseigner Tamazight comme une langue étrangère. Les enseignants avec l'aide des inspecteurs doivent revoir leur méthode d'enseignement et mettre à profit les nouveaux outils didactiques.

Nous savons que vous n'avez pas rompu avec les études, où en êtes-vous?

J'ai pris ma retraite et je suis actuellement en France. Je prépare une thèse de doctorat en sciences de l'éducation à l'université Paris 8 et un diplôme de maîtrise en littérature berbère à l'INALCO. Je suis sur un double cursus.

Ali Bekhti avec ses ex.professeurs à Pari 8

Avez-vous un projet d'écriture en vue; en l'occurrence  un roman ou un livre de linguistique ou de didactique.

Quand je dispose d'un temps libre, j'aime bien rendre visite aux personnes que j'aime.                   Mon projet est d'éditer un ouvrage sur les difficultés de l'écrit en langue berbère.

De quoi avez-vous la nostalgie quand vous êtes à l’etranger?

J'ai la nostalgie de revoir tous ceux qui me sont chers.

Quand vous êtes dans votre pays, qu'est ce qui vous manque ou vous déçoit?

La différence entre vivre en France et vivre en Algérie est beaucoup plus d'ordre culturel et civilisationnel. Sinon la vie, il faut juste savoir la vivre. "Ddunit d ddunit kan ur telli d ayen niden." disait Aït Menguellet.

Comment voyez-vous la relation entre l’individu et sa langue? Qu’adviendra-t-il si elle est rompue entre eux?

La langue est l'un des composants de l'identité. Elle nous conduit à nos racines. c'est une relation intrinsèque. Couper cette relation avec la langue nous déracine. Encore une fois, je cite Lounis Ait Menguellet qui disait " Lasel-ik izgel-ik, win tebghid yugi-k, mmel-iyi-d wi k-ilan".

Depuis sa création, notre blog a tracé un riche programme mais qui s'avère assez lourd. D'après vous, que faudra-t-il pour surpasser les difficultés?

Le blog est nouvellement créé, il faut se donner le temps et être patient. Les gens commencent à peine à le découvrir. Par son contenu, ils commenceront à s'intéresser et à l'enrichir.

Vous l’avez probablement visité, pouvez-vous nous donner votre avis? 

Je consulte régulièrement ce qui est publié dans ce blog. En plus des publications et des débats autour de l'écriture de tamazight, je souhaiterai qu'on aborde aussi les méthodes d'enseignement. Par conséquent, je vous propose des rencontres via zoom pour en parler.

Nous arrivons à la fin de cet intéressant entretien, tutlayt-inu vous laisse le soin de  conclure.

Merci de m'avoir donné cette occasion de m'exprimer. Je termine par redire ce que je disais toujours aux enseignants de Tamazight : aimez votre travail et aimez vos apprenants. Tout est une question de relation.

Bonne lecture et j'espère vous retrouver bientôt.

Interview réalisée par Sadak BENDALI, administrateur du blog de langue et culture amazighes “tutlayt-inu”.

htps://sadbendali.blogspot.com/2021/02/interview-de-ali-bekhti-doctorant.html

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